Afrique: l’ambiguïté des élites (Libre opinion)

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Par Charles Sanches*

Je viens de terminer le livre de Almamy Wane, « La cuisine françafricaine : quand le poétique rejoint le politique », édité par L’Harmattan dans la collection Points de Vue.

Il y a dans cet ouvrage une mise à nu de la mystification sémantique, outil de légitimation qui sert nos élites prédatrices.

En Afrique noire, les élites offrent d’elles, d’une manière générale, une position ambiguë qui n’est rien d’autre que l’avènement de “l’homo colonisis” (l’homme colonisé). Elles savent utiliser, avec finesse, pour leurs propres intérêts les artifices qui furent créés par l’administration coloniale qui pour diviser, catégoriser, classer et somme toute maintenir à la fois la domination, tout en produisant au sein de la société coloniale les produits d’une “émancipation” qui a prêté allégeance à la métropole et à ses subterfuges, sans le savoir.

C’est en cela que l’essai de Almamy Wane est important. Il met des mots voire systématise des intuitions et probablement des hypothèses en les renouvelant dans la période qui est appelée néocolonialisme c’est-à-dire cette ère actuelle des relations internationales entre le tiers-monde et les pays occidentaux, symbolisée par les “indépendances”.

Les anciennes colonies ont toutes les attributs de souveraineté mais entretiennent des rapports incestueux via leur classe politique avec l’ancienne puissance coloniale tandis que le citoyen lambda va singer jusqu’à la caricature, sur une musique aux fausses notes, les us et coutumes de l’ancien maitre.

Il y a dès lors toute une panoplie de concepts qui ne servent qu’à asseoir la “démocrature” et les relations incestueuses entre les dirigeants africains et français y compris certains intellectuels qui trouvent leur succès en promouvant ce corpus sémantique, aliénant.

«Ainsi, les médias occidentaux utilisent le concept d’affropessimisme pour désigner le désarroi africain, désarroi pour qui ? Son utilisation par ces intellectuels africains est surprenante, car même les mots transportent une négation de soi, des mots dont le sens peut contenir toutes sortes de “pièges”». (p. 14)

Le travail est fouillé, documenté. Il y a de nombreux appels à d’autres auteurs, des rappels historiques importants. Almamy Wane construit son ouvrage en présentant les ingrédients de la cuisine françafricaine de sorte que l’on peut prendre chaque ingrédient séparément pour composer une autre recette.

Chaque terme vaut son pesant d’or, j’allais dire son clou de girofle : «aujourd’hui, regardons l’Afrique, contemplons le résultat : francophonie, téléphonie, cacophonie, agonie…» (p. 83)

Saviez-vous, par exemple, que les Africains ont plus accès à la téléphonie mobile qu’à… des toilettes fonctionnelles ? Quel scandale. C’est de la géopolitique, de haut vol !

Bien sûr, d’aucuns diront qu’il n’y a rien de nouveau mais ceux-là mêmes sont ceux qui profitent d’un statu quo, bien engouffrés dans les rouages de ce système baptisé Françafrique. Ils sont d’une grande complaisance et trouveront à traiter d’arriérés les autres qui oseront simplement s’interroger sur ces mécanismes de domination sophistiqués.

J’espère, néanmoins, que cet essai ne s’arrêtera pas là, c’est un travail dans une fourmilière qui a été entamé. Le diagnostic est posé, il faut maintenant donner une recette pour sortir de cette aliénation, pour parachever la déconstruction ainsi commencée.

C’est un livre de chevet pour le damné qui est en lutte contre le système prédateur instauré par la colonisation et qui se poursuit insidieusement, aujourd’hui. Car, au final, il me semble que Almamy Wane nous invite surtout à nous méfier de la grandiloquence de concepts creux qui ne nourrissent ni l’émancipation de nos peuples, ni un développement endogène pour nos pays, mais construisent des escaliers pour l’ascension personnelle de quelques uns.

*Charles Sanches, est un juriste et consultant indépendant basé à Dakar.

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