Ouestafnews – Lancé au Sénégal en 2023, CinéFemFest est à la fois un festival de films, un espace de témoignages et de réflexion centrés sur la femme. En 2024, l’évènement a mis à l’honneur cinq Sénégalaises, pionnières et relèves du féminisme, dont l’écrivaine Ken Bugul. Ouestaf News revient sur cet évènement, présenté par ses initiatrices comme une occasion d’« échanger sur les films de cinéastes africaines dont le rôle phare est souvent méconnu du grand public ».
« Cette année (en 2024, NDLR), nous avons décidé de célébrer les contemporaines », a indiqué la Sénégalaise Rama Salla Dieng, directrice de CinéFemFest, à l’ouverture du « Festival africain du film et de la recherche féministes », du nom complet de cette manifestation.
La deuxième édition de l’évènement s’est tenue du 31 octobre au 3 novembre 2024 à Toubab Dialaw, localité côtière à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Dakar, la capitale sénégalaise. Au programme : projections de films sénégalais, africains et de la diaspora, panels, concerts ainsi qu’une exposition, une séance de contes et une visite de lieux culturels de la ville.
Parmi les féministes contemporaines sélectionnées pour y être célébrées – les « égéries » du festival -, figuraient l’écrivaine Ken Bugul, la sociologue et professeure Fatou Sow ainsi que la chercheuse et journaliste Codou Bop, parmi les pionnières des luttes féministes au Sénégal. La documentariste et journaliste Mame Woury Thioubou, la scénariste et productrice Kalista Sy, de générations plus jeunes, complétaient la liste.
D’après Rama Salla Dieng, il était important pour le CinéFemFest de leur rendre hommage de leur vivant. Mais également pour beaucoup de raisons énumérées dans un « manifeste » pour l’édition 2024. Par exemple, a lu Mme Dieng devant le public, « nous aimer vivantes. Avec nos failles », ou encore « Trouver les mots et sinon les inventer pour nous définir nous-mêmes (…). Car à partir d’eux, nous nous définissons et nous créons nos réalités féministes. Notre féminisme dans son entièreté ». « Et ces cinq femmes-là que nous avons autour de cette table, c’est ce qu’elles ont passé leur vie à faire », a-t-elle souligné.
« Porter la parole des femmes »
Le premier CinéFemFest s’était tenu en juin 2023 sur l’île de Gorée, au large de Dakar, à l’initiative de Rama Salla Dieng, enseignante-chercheuse, et de deux autres Sénégalaises : Tabara Korka Ndiaye, politiste et actrice culturelle, ainsi que Ndèye Debo Seck, journaliste, enseignante, photographe. Toutes trois sont des militantes actives des droits des femmes.
Le festival 2023 avait mis le projecteur sur les cinéastes sénégalaises décédées Khady Sylla et Safi Faye. En 2023 comme en 2024, les participants au CinéFemFest, essentiellement des femmes, étaient des cinéastes, des universitaires, des chercheurs, des activistes, des artistes… À ces profils, se sont joints au gré des projections des touristes, des résidents des localités hôtes. Et, dans le cas de Toubab Dialaw, des membres du personnel du complexe hôtelier en bord de mer, parsemé de plantes aux fleurs chatoyantes, qui a accueilli la majorité des activités du festival.
« Je crois que c’est très important que des féministes portent un regard sur la société et portent leur message », a déclaré Pr Fatou Sow à la presse après la cérémonie d’ouverture. Selon elle, les voix qui s’expriment dans le cadre du CinéFemFest « analysent nos sociétés et expliquent quelles sont les difficultés, quels sont les problèmes, quelles sont les occasions pour lesquelles les femmes doivent donner leur voix ». CinéFemFest permet « également, à travers un cinéma féminin, de porter la parole des femmes », a-t-elle ajouté.
Selon le comité d’organisation, CinéFemFest « est une occasion pour célébrer et échanger sur les films des cinéastes africaines dont le rôle phare est souvent méconnu du grand public ». Pour 2024, l’accent a été mis « sur l’oeuvre de cinéastes au talent immense, qui sont encore très peu connues malgré leur filmographie importante ». Dans le lot, Mame Woury Thioubou et Kalista Sy.
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« Présomption d’incompétence parce qu’on est femme », selon le mot de la journaliste culturelle sénégalaise Oumy Régina Sambou ; manque de soutien de décisions ou carrière de la part de proches ; lutte au quotidien dans des environnements dominés par des hommes comme celui de la récupération dans la plus grande décharge de Mbeubeuss, près de Dakar ; injonctions à se marier ou avoir des enfants ; violences sexuelles, physiques ou verbales : autant de sujets abordés lors des discussions entre femmes ou de témoignages entendus après des projections publiques.
« Que faire ensemble ? »
« Moi, j’ai plus écouté qu’autre chose en fait, parce qu’il y avait tellement de beaux esprits », a déclaré à Ouestaf News Mame Woury Thioubou, auteure notamment des films documentaires « 5 Étoiles », « Rebeuss, chambre 11 » et « Fifiiré en pays cuballo » (se prononce « thiouballo », NDLR).
CinéFemFest 2024 « a été vraiment un moment extraordinaire » rien que par le fait d’être « à côté de toutes ces dames », a ajouté Mme Thioubou, jugeant le mot égérie « très, très fort » pour elle-même. « Je n’ai pas (eu) beaucoup de lectures sur le féminisme », a admis la réalisatrice, en saluant l’opportunité de côtoyer des pionnières des luttes pour les droits des femmes au Sénégal et des féministes plus jeunes. Ces personnalités « qui décortiquent ce qui se passe dans notre société » aident à « prendre conscience de beaucoup de choses, et cela ouvre de nouvelles pistes de réflexion », a-t-elle poursuivi.
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« Le rôle que j’ai aujourd’hui, et que nous avons en tant que femmes, c’est vraiment de montrer le vécu et la réalité », a également déclaré à l’ouverture du festival Kalista Sy, qui a notamment écrit et produit les séries sénégalaises à succès « Maîtresse d’un homme marié » et « Yaay 2.0 ». « On ne peut pas avancer si on ne se voit pas. Si on ne voit pas toutes les souffrances qu’on a, si on ne voit pas les espoirs, l’attente qu’on a et si on ne fait pas aujourd’hui le legs générationnel. »
Parmi les festivalières très actives, figurait la Maliano-Sénégalaise Coumba Touré, auteure de livres pour enfants, éditrice, qui célèbre des femmes actrices de changement dans leurs communautés avec son projet « Géantes invisibles ». Dans un entretien avec Ouestaf News, elle a apprécié en CinéFemFest « un espace d’échanges, un espace d’apprentissage », qui permet aussi « d’être témoins d’un mal-être de notre société par rapport aux femmes »,
Cependant, a estimé Mme Touré, les initiatives devraient se poursuivre au-delà de la période ou du cadre de l’événement, rassemblant des personnes menant pour la plupart des actions ou des activités individuelles en faveur des droits des femmes. « La grande question, c’est : que faire ensemble ? Et une des idées », a-t-elle précisé, « c’est d’avoir une plateforme commune où on mettrait les films féministes, puisque c’est si difficile de les trouver et de les voir hors des espaces de festivals ».
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