Déficit d’infrastructures et disparités économiques : ces freins à la réalisation de la ZLEC

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El Hadji Mansour Samb, économiste./Photo : Ouestafnews

Projet phare de l’Union africaine (UA), le traité portant création de Zone de libre-échange continentale (ZLEC), a été signé par 49 sur les 55 pays membres. En attendant l’étape des ratifications dont le délai est fixé à janvier 2019, le traité suscite des réticences de la part du Nigeria. Première puissance économique et démographique du continent n’a pas signé comme l’Afrique du Sud. Dans cet entretien exclusif avec Ouestaf News, l’économiste sénégalais El Hadji Mansour Samb livre quelques clés pour comprendre l’attitude actuelle du Nigeria. Auteur de l’ouvrage «Les limites du Plan Sénégal Emergent», M. Samb énumère aussi quelques contraintes actuelles qu’il faudra lever pour une mise en œuvre réussie de ce projet destiné à renforcer considérablement les échanges intra-africains.

 Ouestafnews – Quels apports faut-il attendre de la Zone de libre-échange continentale (ZLEC) ?

El Hadji Mansour Samb – L’objectif ici est d’accroître le commerce intra-africain à 52% d’ici à 2022. Actuellement, nous sommes à 16% de taux d’échanges commerciaux en Afrique, comparé au 63% de l’Union européenne, et au 57% en Asie.

L’idée c’est vraiment d’accroître le commerce intra-régional africain, de réduire les barrières douanières et non tarifaires, ce qui va permettre de développer un marché et d’attirer les investisseurs vers l’Afrique. Parce qu’il ne faut oublier que l’Afrique est un marché de 1,2 milliard d’habitants.

Lire aussi: Zlec, les réticences du Nigeria!

Ouestafnews – Naturellement, ce projet ambitieux ne vas pas sans certaines difficultés. Quelles en sont les contraintes majeures ?

E.M.S – La première se situe au niveau des infrastructures car il faut savoir qu’en Afrique, elles sont de type colonial. Ce qui manque actuellement ce sont  des infrastructures d’interconnexion entre les pays. Selon les estimations faites dans le cadre de la ZLEC, il faut 90 milliards de dollars par an  pour combler ce déficit d’infrastructures. Pour le moment, c’est la moitié soit 45 milliards qui sont alloués aux infrastructures sur le continent.

La deuxième contrainte à lever c’est l’inflation qui existe en termes de réglementations entre les Etats et entre les zones économiques. Chaque communauté économique régionale a sa réglementation et il faudra une harmonisation. C’est un problème juridique qu’il faudra résoudre à côté de la question des infrastructures. La troisième contrainte, c’est un équilibre à trouver entre les économies qui sont très hétérogènes sur le continent. Si vous prenez par exemple, le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Egypte, ces trois pays représentent 50% du produit intérieur brut du continent. Les différences restent énormes entre les Pib des pays.

Ouestafnews – Le Nigeria que vous venez de mentionner montre beaucoup de réticences face à la ZLEC. Qu’est-ce que ce géant économique et démographique craint dans ce projet ?

E.M.S – Le Nigeria a un problème par rapport à la ZLEC, parce qu’elle a une économie de rente, qui dépend du pétrole. Quand le baril a chuté jusqu’à 30 dollars, ce pays a connu d’énormes difficultés. En ce moment, le Nigeria est conscient du fait qu’il doit diversifier son économie. Il est en train de tirer son économie vers d’autres axes porteurs de développement comme l’industrie et l’agriculture.

Que ça soit la ZLEC ou encore l’entrée du Maroc dans la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le Nigeria y voit une menace à son projet de construction d’une économie solide et inclusive. Maintenant pour la ZLEC, le Nigeria a des réticences vis-à-vis du délai à cause des inquiétudes de son secteur privé. Ce même secteur qui refuse aussi l’entrée du Maroc dans la CEDEAO. Le Nigeria est en train de construire une économie hors pétrole et il faut aussi qu’on lui donne le temps d’y arriver. Ce pays va rejoindre la ZLEC. Ce qui se passe, c’est juste des négociations, sur les zones faibles de son économie qu’il faut protéger.

Avec la ZLEC, ce sera l’ouverture des frontières et la chute des barrières et c’est quelque chose qui fait peur au Nigeria. Le Nigeria et l’Angola ont des économies au fond très fragiles, car dépendantes des matières premières. Ces pays aujourd’hui veulent mettre à coté le pétrole et construire une économie à partir de la production interne, en se basant sur des secteurs comme l’agriculture et l’industrie.

Ouestafnews – Le président Muhammadu Buhari dit qu’il ne veut pas faire de son pays une zone de «dumping». Alors Abuja craint-il que les autres pays puissent profiter de la ZLEC en faisant du Nigeria leur principal débouché ?

E.M.S – Effectivement, dans une économie, le marché est important. Les plus grosses économies, ce sont celles qui ont de gros marchés intérieurs. Si la Chine est aujourd’hui une puissance, c’est grâce à son milliard d’habitants.

Nous, au Sénégal, nous sommes 15 millions et c’est une limite extraordinaire, c’est pourquoi nous voulons mettre en place des ensembles pour arriver à un développement communautaire. Aucun pays au monde ne s’est développé dans la solitude.

Les pays asiatiques se sont appuyés sur un commerce intra-régional. Aucun pays ne peut émerger seul. Les pays émergent en communauté entre eux, en échangeant des produits, en développant le marché interne et communautaire. La ZLEC est vraiment une bonne stratégie, elle va servir de ceinture entourant les cinq blocs régionaux.  Maintenant avant janvier 2019, 22 pays doivent ratifier le traité pour qu’il entre en vigueur.

Ouestafnews – Justement, ce délai fixé à janvier 2019. N’est-il pas trop court, sachant que les pays ont des processus différents ?

E.M.S – Ils vont ratifier et après ils vont commencer à travailler. L’essentiel c’est de mettre en place le format et le cadre. C’est-à dire, on sécurise d’abord les frontières avec la ZLEC et on fait un travail à l’intérieur. Ceci va permettre aussi d’accélérer certains projets à l’intérieur des blocs comme la monnaie unique. S’il y a en pratique une monnaie commune, presque 50% de la situation est réglée.

Pour la ZLEC, il faut accroître le commerce intra-régional d’ici 2022. Les objectifs de la CEDEAO, en termes de monnaie commune, sont fixés en 2020. C’est vraiment le souhait des chefs d’Etat. L’objectif peut être atteint tout comme le contraire peut arriver mais ce qui est important, c’est de mettre en place la forme et les outils et que tous nos partenaires sachent que la ZLEC a été ratifiée.

Ouestafnews – Le Bénin aussi tourne le dos à la ZLEC. Ce pays subit-il ici l’influence de son grand voisin le Nigeria ?

E.M.S – 75% du commerce au Bénin passe par le Nigeria, qui est son premier partenaire économique. En juin 2016, le Nigeria avait dévalué sa monnaie de 30%, à cause de la chute des recettes pétrolières. Le Bénin, qui est dans la zone Franc, en avait beaucoup souffert. C’est aussi la malédiction du Franc CFA. Maintenant, les Béninois sont à l’écoute de leur principal partenaire commercial. Le Bénin ne peut pas partir sans le Nigeria. Je vous dis que le Bénin va ici suivre le Nigeria sur toute la ligne.

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