Burkina : le Covid-19 toujours là, la population se relâche

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Réouverture du Grand marché de Ouagadougou en avril 2020. On n'observe plus ce contrôle de la température à l'entrée par des agents du Programme national de volontariat au Burkina Faso/Photo Ouestaf News

OuestafnewsLe nombre de personnes contaminées par le nouveau coronavirus continue d’augmenter au Burkina Faso. Pendant ce temps, les citoyens baissent la garde et négligent les mesures de prévention contre la pandémie.

Ouagadougou, Université Joseph Ki-Zerbo, mardi 22 septembre 2020. Les dispositifs de lavage des mains pour lutter contre le Covid-19 sont toujours là, devant l’entrée du bâtiment. Mais ils ne sont plus approvisionnés en eau. Dans les différentes unités de formation et de recherche, le constat est le même.  Comme il l’est à l’autre bout de la ville, au Centre de presse Norbert Zongo, et de plus en plus devant la majorité des services publics et des lieux de culte.

A Rood-woko, grand marché au centre de Ouagadougou, en ce matin du 24 septembre 2020, aucun dispositif de lavage de mains n’est disponible au niveau des différentes entrées. Les marquages au sol imposés pour faire respecter la distanciation physique ne sont plus respectés. Ils étaient pourtant obligatoires à la réouverture de ce haut lieu de négoce quelques mois plus tôt. Aujourd’hui, commerçants et clients, sans masques de protection se bousculent et se serrent les mains comme si de rien n’était.

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Ouagadougou en ce mois de septembre 2020 a perdu les bonnes manières face au Covid-19. Les « gestes barrières » édictées par le ministère de la santé depuis l’enregistrement des deux premiers cas, en mars 2020, pour lutter contre la pandémie disparaissent peu à peu du quotidien des populations. Pourtant la maladie est toujours là.

A la date du 30 septembre 2020, le Burkina Faso comptait 2123 cas, selon les chiffres du Centre des opérations de réponse aux urgences sanitaires (CORUS).

« Le Covid-19 n’est pas le pire mal. Le paludisme tue plus que cette maladie. Le terrorisme aussi. Mais le gouvernement ne parle que de Covid. Je ne dis pas que la maladie n’existe pas, mais elle n’est pas aussi fatale (que) le gouvernement le dit », avance Noufou Leosgo, gérant d’un parking de motos dans l’enceinte de l’Université Joseph Ki-Zerbo, pour justifier son non-respect des gestes barrières. « Il n’y a pas de personne contaminée dans mon entourage », explique avec désinvolture Mathieu Sawadogo, enseignant dans une école primaire à Pissila, une commune rurale de Kaya, chef-lieu de la région du Centre-Nord, en vacances à Ouagadougou.

Élysée Dondassé étudiant à l’Université Joseph Ki-Zerbo, lui, ne croit pas à la gravité de la maladie à cause « des mensonges du gouvernement ». Évariste Ouédraogo non plus. Cet infographe qui offre ses services à plusieurs entreprises de presse de Ouagadougou soupçonne « le gouvernement de profiter de la situation pour arnaquer la population ». A preuve, il estime que le Covid-19 ne tue pas en Afrique comme il le fait ailleurs dans le monde.

Signe du relâchement, un dispositif de lavage des mains, manifestement à l’abandon, à l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, le mardi 22 septembre 2020./Photo : Ouestaf News.

Dans divers groupes de causerie, l’avis largement partagé est que la maladie est « une invention du gouvernement pour avoir des financements ». Parmi les moins sceptiques, certains soutiennent que c’est un simple rhume.

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Pourtant les autorités, beaucoup plus inquiètes, ne manquant aucune occasion pour rappeler la nécessité de faire face à une maladie qui a fini de mettre le monde à genoux.

Le président Roch Marc Christian Kaboré a ainsi, une nouvelle fois, exhorté le 30 septembre les Burkinabè au respect des mesures barrières pour lutter contre la propagation du virus, notamment à l’endroit des élèves qui ont repris les chemins de l’école le 1er octobre 2020.

« La maladie à coronavirus persiste dans notre pays et dans le monde entier. Des risques de rebond sont signalés par endroits sur la planète, à un moment où nos enfants reprennent le chemin de l’école. Nous avons, jusqu’ici, bien géré cette crise sanitaire multidimensionnelle, qui impacte négativement notre quotidien », écrit le président burkinabè sur son compte Twitter.

Dans son message, le président burkinabè a également exhorté les populations « à ne pas baisser la garde, à rester vigilants (…) ».

Parmi 2123 cas confirmés que compte le Burkina Faso à la date du 30 septembre 2020, on a enregistré 59 décès et 1385 guérisons, selon les chiffres du Centre des opérations de réponse aux urgences sanitaires (CORUS).

Parmi les cas confirmés et guéris figurent 111 agents de santé dont des infirmiers, des médecins, des laborantins.

La hausse des contaminations au Burkina pourrait s’expliquer par le non-respect des gestes barrières disait en août dernier, au cours d’un point de presse sur le Covid-19, le directeur du CORUS, le docteur Brice Bicaba. Dès le 19 juin il avait alerté les populations sur les conséquences d’un relâchement dans le respect des gestes barrières.

Son avis est partagé par le docteur Bouraïman Zongo, enseignant chercheur en sociologie à l’Université Joseph Ki-Zerbo, par ailleurs coordinateur d’un groupe de recherche pluridisciplinaire sur les représentations sociales de la pandémie.

La courbe épidémiologique de la maladie à Coronavirus monte depuis le 09 mars 2020, date à laquelle deux premiers cas importés de la France ont été enregistrés sur le territoire burkinabè. En témoignent les chiffres officiels communiqués chaque semaine par le Service d’information du gouvernement. De 282 cas au mois de mars, on est à 2123 en septembre.

Toutefois, l’attitude des populations contraste avec cette évolution croissante de la maladie.

« L’État a pris des décisions un peu généralisées qui concerne les villes et les campagnes. Il a fermé certaines routes alors qu’il y avait des espaces territoriaux où il n’y avait aucun cas déclaré. A un certain moment, les populations étaient obligées à se confiner et arrêter leurs activités économiques », explique le sociologue Zongo avant de préciser que lorsque les populations ont réalisé « qu’il n’y avait pas de cas avérés dans leur entourage, le doute s’est installé dans leur tête. Même les statistiques relayées par les médias sont prises avec des pincettes ».

Pour certains observateurs, ce doute a été surtout entretenu par « la mauvaise gestion » de la crise sanitaire depuis le début et « les mauvais exemples » donnés par les autorités à travers leurs propres comportements.

A titre d’exemple, « alors qu’on continue de parler des risques liés à cette pandémie, le parti au pouvoir a organisé son congrès dans un espace public rassemblant des milliers de personnes », relève le sociologue. Quelques jours après, « les partis de l’opposition en ont fait pareil sans mesure de distanciation physique, et sans exiger le port de masque exigé. À partir de cet instant, la population s’est dite que ceux qui édictent les règles ne les respectent pas.

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« Même si nos autorités ne se montrent pas aussi responsables, la population doit comprendre qu’elle doit se protéger », relativise Dr Bertrand Méda, médecin de santé publique et chercheur à l’Institut de recherche en santé (IRS). A ceux qui estiment que le covid-19 ne tue pas, il réplique : « on a tendance à croire que ce qui ne tue pas tout de suite n’est pas dangereux. Or, le Covid-19 est une maladie dont on ne connaît pas très bien l’évolution. Personne ne sait ce qu’à l’avenir, pourraient développer ceux qui ont été en contact avec ce virus », prévient Dr Méda.

La communication gouvernementale comporte des failles qui empêchent les citoyens d’adhérer pleinement à la riposte, explique de son côté, l’ex-professeur en sciences de l’information et de la communication, Serge Théophile Balima,

« Dans un contexte comme le nôtre, l’information a besoin d’être relayée par des vecteurs sociaux, des canaux humains », argue professeur Balima. Dans sa stratégie, l’Etat a choisi « la facilité en croyant qu’il suffit que les individus aient accès à l’information pour qu’ils modifient systématiquement leur comportement ». Une telle appréciation est trompeuse dans la mesure où « dans la société, les gens font plus confiance en leur milieu de vie et à ceux qui les influencent dans leur vie quotidienne ».

Face au déni de la pandémie au sein de la population, le professeur Balima conseille à l’État d’identifier et de responsabiliser les relais sociaux dans leur milieu pour qu’ils deviennent des porteurs de messages de prévention et d’éducation sanitaire dans les différentes communautés.

En attendant, la pandémie, aidée par le relâchement sur l’observation des gestes barrières, continue de se propager à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, les deux épicentres de la maladie.

Gs/fd/hts

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